Voilà plusieurs mois que la filière hydrogène attendait un soutien de l’Etat. Elle devra encore patienter. En effet, sur les 680 millions d’euros sanctuarisés dans le budget 2024 pour subventionner ce secteur, pas un centime n’aura été attribué cette année. Et avec la censure du gouvernement Barnier, aucun nouveau crédit n’est validé pour 2025.
A l’origine pourtant, la promesse était de taille : sélectionner rapidement, via un appel d’offres, des producteurs d’hydrogène « vert », afin de les aider financièrement à se développer dans un marché balbutiant. Lundi encore, la ministre (démissionnaire) déléguée à l’Energie, Olga Givernet, laissait entendre en coulisse que le lancement du mécanisme était imminent. Avant d’affirmer, une heure plus tard, qu’il n’en était plus question.
Combler l’écart de prix
Si son entourage assure qu’il ne s’agit que d’un report, la pilule passe mal. D’autant qu’un premier coup de rabot avait été acté en juin, avec près de 200 millions d’euros amputés pour cause de déficit public. « Il ne faudra surtout pas faire marche arrière, au risque de dériver complètement de la stratégie française sur le sujet », souligne-t-on chez France Hydrogène, le principal lobby du secteur.
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Son président, Philippe Boucly, le rappelle régulièrement : malgré l’absence d’avancées, « l’affaire n’est pas nouvelle ». Le dispositif, qui devait porter sur une première tranche de 150 mégawatts (MW) de projets à soutenir sur l’année, apparaissait déjà dans une ordonnance de février 2021. Et découlait de la Stratégie nationale de la France en la matière, elle-même publiée en 2020. Cette feuille de route devait d’ailleurs être révisée avant l’été ; mais, là encore, silence radio, alors même que le document est « prêt », glisse-t-on au sein du gouvernement sortant.
Concrètement, l’idée était de ramener le prix de l’hydrogène décarboné, produit à partir d’électricité et d’eau, vers celui de l’hydrogène « gris » issu de gaz fossile. Tandis que le premier coûte en moyenne 5 à 12 euros le kilo (en fonction de la taille et de la nature des unités de production), le deuxième ne dépasse pas 1,50 à 2,50 euros. Difficile, dans ces conditions, de dégager un modèle à la fois vertueux et rentable. L’Etat devait ainsi combler l’écart pour certains énergéticiens sélectionnés, en signant des « contrats pour différence » (CfD) sur le modèle de ce qu’il fait déjà pour les exploitants d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques.
Retard à l’allumage
Mais à ce stade, donc, le lancement d’un appel d’offres n’est plus d’actualité. En cause, le contexte politique instable, puisque l’année a été marquée par des remaniements ministériels, une dissolution surprise puis une censure du gouvernement. Mais aussi, plus inquiétant, des raisons plus fondamentales.
« Tous ne sont pas convaincus de l’intérêt de développer rapidement l’hydrogène vert. Alors que le cabinet d’Olga Givernet s’y montre très favorable, on sent plus d’hésitations à Bercy », glisse une source informée.
Car selon nos informations, le report est également lié aux difficultés que traverse le secteur. En effet, les constructeurs d’électrolyseurs – les engins qui extraient l’hydrogène de l’eau grâce à un courant électrique – rencontrent des problèmes techniques dans la mise à l’échelle. En substance, ces machines ont besoin d’un approvisionnement en électricité assez constant, et résistent donc mal à l’intermittence des renouvelables.
Sur ce point néanmoins, la France dispose d’un avantage considérable. Grâce à son parc nucléaire, l’Hexagone peut s’appuyer sur un mix largement décarboné. Et par là même, alimenter les électrolyseurs en continu, en les raccordant à son réseau national d’électricité – c’est-à-dire sans dépendre directement de champs d’éoliennes ou de panneaux solaires. A condition, bien sûr, que ce mode de production soit considéré comme « vert » par la Commission européenne. Ce que l’exécutif bruxellois doit bientôt trancher, à travers la publication d’un acte délégué très attendu par la filière.