Par Jean-Pierre Renaud
Dans le monde contemporain, la distinction entre souveraineté numérique et souveraineté traditionnelle s’estompe progressivement, créant une nouvelle réalité géopolitique où le contrôle des technologies devient synonyme de pouvoir national. Cette fusion des concepts révèle un changement fondamental dans la nature même de l’indépendance des États.
L’Europe fait face aujourd’hui à une forme moderne de colonialisme. Les géants technologiques américains et chinois dominent le marché européen, extrayant quotidiennement ce qui constitue la ressource la plus précieuse du XXIe siècle : les données. Ces entreprises étrangères nous revendent ensuite à prix fort des produits numériques, créant ainsi une relation de dépendance. Plus inquiétant encore, ces acteurs opèrent souvent en marge de nos cadres législatifs, car nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour faire respecter nos lois.
Cette situation résulte d’un choix stratégique malheureux. Au lieu d’investir massivement dans son propre écosystème technologique, l’Europe a privilégié la facilité en important des technologies développées ailleurs. Ce faisant, elle a progressivement abandonné sa capacité à déterminer son propre avenir.
Le XXIe siècle verra la quasi-totalité des secteurs industriels se transformer en industries technologiques, y compris dans des domaines qui constituaient autrefois les fleurons de l’économie européenne. L’industrie automobile en est l’exemple parfait. Les constructeurs européens, jadis leaders mondiaux, reculent face à la concurrence américaine et chinoise dans la transition vers l’électrification. Ce phénomène s’explique aisément : la voiture électrique moderne s’apparente davantage à un ordinateur mobile qu’aux véhicules traditionnels.
La souveraineté numérique n’est donc pas un concept abstrait ou un luxe politique – c’est désormais une condition sine qua non de l’indépendance nationale. Sans maîtrise technologique, il devient impossible pour une nation de protéger ses intérêts fondamentaux ou d’exercer pleinement son autorité dans le concert des nations.