C’était l’issue la plus probable et elle a bien eu lieu. Le gouvernement, par la voix de son Premier ministre Michel Barnier, a engagé ce lundi la responsabilité du gouvernement sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale en activant le 49-3. « C’est maintenant à vous (…) de décider si notre pays se dote de textes financiers responsables, indispensables et utiles à nos concitoyens. Ou alors si nous entrons en territoire inconnu. Les Français ne nous pardonneraient pas de préférer les intérêts particuliers à l’avenir de la Nation » , a ainsi justifié le Premier ministre.
Une décision qui a entraîné le dépôt immédiat d’une motion de censure de la part des Insoumis, suivi de peu par une autre motion de la part du Rassemblement national qui s’est également engagé à voter celle de la gauche. Avec 307 députés favorables à la motion de censure sur les 288 minimum pour avoir la majorité, l’issue semble donc inévitable : la chute du gouvernement. Cette dernière devrait arriver au plus tôt mercredi, après un délai de 48 heures de réflexion entre le dépôt de la motion et le vote.
Pourtant, le gouvernement avait laissé la porte ouverte à l’extrême droite et s’était « engagé à ce qu’il n’y ait pas de déremboursement des médicaments » en 2025, l’une des lignes rouges du RN. Insuffisant pour le Parti de Marine Le Pen, qui demandait de revoir la revalorisation des retraites. Le gouvernement avait déjà multiplié au cours de la dernière semaine les concessions au RN, que ce soit sur les taxes sur l’électricité ou l’Aide médicale d’Etat. Si la chute de l’exécutif est actée, que deviennent alors les deux textes de budget pour 2025, à savoir le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale ?
Risque de dérapages du déficit de la Sécu
La censure implique le rejet du PLFSS. Pour ce dernier, tous les modes d’emploi d’urgence sont à trouver puisque le cas de figure ne s’est jamais présenté depuis la création des PLFSS en 1996. L’ancienne Première ministre Élisabeth Borne a même avancé que dans cette situation, « au 1er janvier, votre carte Vitale ne marche plus. Ça veut dire que les retraites ne sont plus versées » . Des propos balayés par les experts du droit : « Pour le PLFSS, ce n’est pas très vital de ne pas avoir de budget » , souffle Jean-Pierre Camby, docteur en droit. En réalité, deux options s’offrent au gouvernement.
La première, très critiquée, est l’activation de l’article 47 de la Constitution qui permet de promulguer le projet de loi par ordonnance, sans vote, si jamais le Parlement ne s’est pas prononcé dessus au bout de soixante-dix jours. Il se pourrait donc qu’un des textes du budget de la Sécu, soit celui initial, soit celui remanié – les juristes ne sont pas d’accord là-dessus – passe en force.
Dans le cas où cet article n’est pas activé et qu’aucun projet de financement de la Sécurité sociale n’est acté, deux enjeux se posent : la capacité d’emprunt de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) qui permet de lever des fonds et de verser les prestations sociales. Cette dernière pourrait être activée via un décret en urgence. Le deuxième point de tension concerne l’Objectif national de dépenses de l’Assurance maladie (Ondam) qui fixe la trajectoire des dépenses, mais aussi les tarifs des actes médicaux, très attendus par les professionnels de santé en avril.
« En bricolant, on peut reprendre l’Ondam de l’année dernière », affirme Jean-Pierre Camby.
Une mesure qui risque de faire grincer des dents le milieu médical, qui demande des hausses de tarifs liées à l’inflation. Enfin, dernier point d’alerte : toutes les mesures de freinage de dépenses dans le PLFSS 2025 seront rejetées. Le déficit de la Sécurité sociale pourrait ainsi atteindre 28,4 milliards d’euros en 2025 si aucune économie n’est réalisée, selon le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale d’octobre 2024.
Motion de censure: le budget de l’Etat en sursis
Quid du projet de loi de finances ? Ce lundi, les sénateurs ont continué l’examen de la partie dépenses après l’annonce du 49-3 du Premier ministre Barnier sur le vote du budget de la sécurité sociale. Après une adoption chaotique du volet recettes dimanche soir, les sénateurs « peuvent poursuivre l’examen du texte jusqu’au 12 décembre sur le volet dépenses » , affirme Jean-Pierre Camby. Rejeté ou adopté au Sénat, le budget de l’Etat devrait repartir ensuite à l’Assemblée nationale à la mi-décembre. Dans l’hypothèse où le gouvernement n’est pas renversé sur le budget de la sécurité sociale ou le projet de loi de fin de gestion (PLFG) dans les jours à venir, Michel Barnier pourrait à nouveau dégainer l’arme constitutionnelle du 49-3 autour du 18 décembre sur le projet de loi de finances 2025. Faute de majorité, l’exécutif s’expose à nouveau au dépôt d’une motion de censure. Si cette motion est adoptée par une majorité à l’Assemblée, le gouvernement pourrait tomber entraînant son budget dans sa chute. Ce qui est d’ailleurs le scénario principal du président de la Commission des Finances Eric Coquerel interrogé récemment par La Tribune .
A partir de là, le chef de l’Etat Emmanuel Macron peut décider de maintenir le gouvernement Barnier en poste afin d’expédier « les affaires courantes ». C’est ce qu’il s’était passé à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale. Le gouvernement Attal était resté en poste tout l’été jusqu’à l’arrivée du Premier ministre Michel Barnier à Matignon en septembre. Autre option, Emmanuel Macron peut décider de renouveler Michel Barnier à son poste mais cette hypothèse est moins probable. « Si le projet de loi de finances était emporté par la censure, il faudrait en faire voter un autre avant le 31 décembre 2024 », soulignent Jean-Pierre Camby et Jean Éric Schoettel (ancien secrétaire général au Conseil constitutionnel) dans un article juridique paru ce lundi 2 décembre.
Compte tenu du calendrier serré, le gouvernement démissionnaire ne pourrait pas présenter un budget complet. En revanche, il pourrait déposer une loi spéciale l’autorisant à prélever les impôts et reprendre les crédits de l’Etat inscrits dans le budget 2024 au nom de « la continuité de la vie nationale ». Cette loi spéciale n’indexerait pas le barème de l’impôt sur le revenu selon les juristes. Ce qui pourrait provoquer une hausse d’impôt pour des milliers de ménages ou faire entrer certaines familles dans l’imposition au revenu. Cette loi gèlerait aussi les crédits du budget de l’Etat, soit une économie de l’ordre d’une dizaine de milliards d’euros. La France serait cependant loin des 60 milliards d’euros d’économies annoncées par le gouvernement Barnier. Une perspective bien sombre.