Bras de fer ultime entre le gouvernement de Michel Barnier et l’opposition au Parlement. Alors que le Premier ministre a déclenché l’article 49.3 pour adopter le budget de la Sécurité sociale (PLFSS) sans vote des parlementaires, le Rassemblement national a annoncé qu’il voterait une motion de censure commune avec l’opposition de gauche.
Le Premier ministre vient d’actionner l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer le budget de la Sécurité sociale.
Ce texte, comme ce Gouvernement, méritent la censure. pic.twitter.com/dcVmQiHV4Z— Groupe Rassemblement National (@groupeRN_off) December 2, 2024
Une annonce qui risque de faire tomber le gouvernement et de faire entrer la France dans une crise politique inédite.
LA TRIBUNE – En cas de vote de la motion de censure, quelles seront les conséquences pour le gouvernement et les lois en cours de vote?
GILLES TOULEMONDE – Si la motion est votée, le gouvernement devra remettre sa démission au Président, comme mentionné dans l’article 50 de la Constitution. Dans le même temps, le PLFSS, sur lequel l’engagement de responsabilité du gouvernement a eu lieu, est considéré comme rejeté.
Quelle sera la suite pour le gouvernement démissionnaire?
Le temps que le Président trouve un nouveau Premier ministre, le gouvernement démissionnaire conduira les affaires courantes.
Il n’y a aucun délai légal pour former un nouveau gouvernement et cela pourrait prendre beaucoup de temps. Après le vote de la motion de censure de 1962, Charles De Gaulle a différé l’acceptation de la démission du gouvernement de Georges Pompidou. Il avait mis 60 jours avant d’annoncer un nouveau Premier ministre… qui s’est en plus avéré être à nouveau Georges Pompidou.
Quant à Emmanuel Macron, il aura peut-être encore plus de mal à trouver une personne acceptant de diriger le gouvernement qu’après la dissolution du Parlement. La séquence pourrait donc durer relativement longtemps.
Dans ce contexte, qu’en est-il du budget 2025 et PLFSS?
Le PLFSS est rejeté, donc il faudra qu’un nouveau projet de loi soit présenté. En attendant, le gouvernement démissionnaire pourrait faire voter une loi spécifique permettant de reconduire l’ancienne loi de financement de la sécurité sociale.
Le projet de budget, lui, n’est pas en cause. Donc il faudra le faire voter. La question est de savoir si » le gouvernement démissionnaire pourrait le faire voter? » Sur ce point, les constitutionnalistes ne sont pas d’accord car le gouvernement démissionnaire est censé gérer les affaires courantes, c’est-à-dire des affaires banales ou des affaires ayant un caractère urgent. On pourrait considérer que le budget 2025 est une urgence donc il pourrait le faire voter. Mais le gouvernement Barnier ne pourra pas utiliser le 49.3 puisqu’il a déjà été censuré. Le vote du budget risque donc d’être compliqué.
Une solution pourrait être d’attendre le 21 décembre pour laisser passer les 70 jours maximums autorisés pour voter un PLF. S’il n’est pas voté d’ici là, le gouvernement démissionnaire pourra l’imposer par ordonnance en s’appuyant sur l’article 47 de la Constitution.
Ce serait la première fois que ce type d’ordonnance serait mis en œuvre et cela dépouillerait le Parlement de son pouvoir financier. Mais c’est une habilitation donnée par la constitution au gouvernement, donc le Conseil constitutionnel ne sera pas compétent pour juger de la légalité de cette ordonnance.
Existe-t-il d’autres recours pour le gouvernement démissionnaire?
Il pourrait mobiliser l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) pour reconduire le budget 2024 sur 2025 en attendant un vrai budget. Encore faut-il que cette reconduction soit votée par l’Assemblée nationale et le Sénat.
Si elle était votée, le Conseil constitutionnel pourrait être saisi pour savoir si le gouvernement a le droit de faire voter cette « loi spéciale » et si la procédure a bien été respectée.
Le Président a-t-il la possibilité d’imposer le budget?
Oui, il peut s’appuyer sur l’article 16 de la Constitution qui est vraiment construit comme la roue de secours ultime du président. Il a été mobilisé une seule fois en 1961 pendant le putsch d’Alger.
Mais il ne peut être appliqué qu’en réunissant deux conditions : qu’il y ait une interruption des pouvoirs publics constitutionnels, ce qui serait sûrement le cas.
Il faut, en plus, qu’il y ait une menace sur l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire, les engagements internationaux ou les institutions de la République. Est-ce que l’interruption du budget permettrait de remplir ces conditions? Pas sûr.
Seul le Président serait juge de l’opportunité du recours à l’article 16. Le Conseil constitutionnel pourrait donner un avis, mais ça ne resterait qu’un avis. Ainsi certains constitutionnalistes considèrent qu’il s’agirait d’une menace pour la Constitution. Dans ce cas, les parlementaires pourraient mettre en jeu la responsabilité du Président.
Comment se déroulerait une procédure de destitution?
Cela serait plutôt rapide : il faut que des parlementaires déposent une proposition de résolution tendant à la mise en œuvre de la procédure de l’article 68 de la Constitution. Cette proposition doit ensuite être votée, au plus tard quinze jours après son dépôt, avec une majorité de deux tiers de l’Assemblée nationale. Elle est ensuite transmise au Sénat pour être, là encore, votée par deux tiers des sénateurs. Ensuite, les parlementaires seront réunis en Haute Cour, à Versailles, pour un vote final demandant, à nouveau, une majorité des deux tiers. Si c’est adopté, le président est destitué et une élection présidentielle doit avoir lieu dans un délai de 20 à 35 jours après la destitution.