Richesse héritée et justice sociale : le besoin urgent d’une réforme fiscale en France

La France connaît, de manière discrète mais profonde, une régression historique qui ébranle les fondements de son pacte social. Bien que ses dirigeants ne cessent de valoriser le travail, l’innovation et la prise de risque, le pays est insidieusement revenu à une structure sociale rappelant celle du XIXe siècle : une société dominée par les héritiers. Cette évolution, documentée par de nombreuses études et analyses récentes, y compris une série d’articles publiée par Le Monde, n’est pas uniquement française mais contredit directement les principes d’égalité des chances qui fondent notre République. Aujourd’hui, l’accumulation de patrimoine dépend davantage de l’héritage que du travail, créant un système où les fortunes les plus importantes sont quasi exclusivement accessibles aux personnes issues de familles déjà fortunées.

Au début des années 1970, la richesse héritée représentait environ 35% du patrimoine national français. Ce chiffre atteint désormais 60%. Cette transformation résulte d’une combinaison de facteurs : d’une part, la valorisation des marchés boursiers et immobiliers, d’autre part, la stagnation des revenus du travail, conséquence du ralentissement économique et de la hausse du chômage. Face à cette situation, l’État n’a pas mis en place de mécanismes correctifs efficaces.

Dans un contexte de dérégulation fiscale généralisée, les politiques menées ces dernières décennies ont au contraire multiplié les exemptions dans la fiscalité successorale. Cette dernière souffre d’un handicap majeur : son impopularité, y compris parmi ceux qui, disposant de patrimoines modestes, n’y seront jamais assujettis.

Les conséquences du déséquilibre entre les fruits du travail et les bénéfices de l’héritage sont aujourd’hui manifestes. Une économie fondée sur la rente ne favorise pas le développement futur mais entretient plutôt un malaise sociétal profond. Les jeunes générations apparaissent comme les grandes perdantes de ce système. Leur entrée dans l’âge adulte devient de plus en plus difficile, sauf pour ceux qui bénéficient d’une donation ou d’un héritage leur permettant d’accéder à la propriété immobilière.

En raison de la faible progression des salaires, le travail n’assure plus la mobilité sociale, aggravant ainsi la rigidification d’une société de plus en plus inégalitaire. Le risque de voir cette société d’héritiers se perpétuer est amplifié par le vieillissement démographique qui augmente le montant moyen des héritages : les baby-boomers se caractérisent en effet par une plus grande richesse et moins d’enfants que les générations précédentes.

En France, la dernière tentative significative de réforme fiscale remonte à 2013, proposée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault mais refusée par le président François Hollande en raison de son caractère politiquement explosif. Depuis lors, aucun débat sérieux concernant un nouveau pacte fiscal n’a pu s’engager entre les différentes forces politiques, les positions s’étant considérablement radicalisées. Le principe du « pas d’impôt nouveau » érigé en dogme par Emmanuel Macron dans un pays aux prélèvements obligatoires déjà élevés ne devrait pourtant pas empêcher une restructuration fiscale fondamentale à l’heure où la France doit trouver près de 100 milliards d’euros d’ici 2029 pour tenter de maîtriser sa dette.

Les impôts et charges qui pèsent sur le travail freinent l’évolution salariale, tandis que la prolifération des niches fiscales en matière de transmission de patrimoine sert principalement à l’optimisation fiscale des plus fortunés. Ignorer cette réalité ou refuser d’y remédier sous prétexte qu’il n’existe pas de majorité politique pour le faire ne fait qu’exacerber les causes du malaise français.