Vers une gouvernance partagée de l’intelligence artificielle au travail

L’émergence d’une révolution silencieuse

Imaginez un environnement professionnel où les employés apportent leurs propres outils de travail: l’ouvrier installant sa machine personnelle dans l’atelier, l’employé de bureau connectant son ordinateur privé et fournissant ses propres fournitures. Plus surprenant encore, ces mêmes employés introduiraient de nouveaux collaborateurs pour travailler avec eux, sans contrat formel ni véritable connaissance de l’employeur.

Cette situation, qui pourrait sembler dystopique, correspond pourtant à la réalité actuelle avec l’introduction progressive de l’intelligence artificielle dans notre quotidien professionnel. Au-delà des débats théoriques sur l’utilisation massive des systèmes d’IA, un nombre croissant de salariés emploie déjà quotidiennement des outils d’IA générative pour faciliter leurs tâches professionnelles: amélioration de présentations, création de tâches dans des feuilles de calcul, rédaction de réponses aux clients mécontents, ou recherche d’informations sur des sujets peu familiers.

Une adoption ascendante plutôt qu’imposée

Contrairement à nos appréhensions initiales d’une technologie imposée par le haut de la hiérarchie, nous observons une dynamique inverse: les employés s’approprient ces outils avec une aisance surprenante. Certains pourraient y voir les travailleurs forgeant eux-mêmes les instruments de leur future subordination à la machine, mais cette situation représente plutôt une opportunité d’amélioration de leur cadre de travail.

Les directions d’entreprises accusent souvent un retard dans ce domaine: nombreuses sont celles qui placent l’IA au cœur de leurs priorités pour 2025, sans avoir encore défini précisément les besoins et les cas d’application concrets. Elles s’appuient sur « l’innovation spontanée », attendant que leurs collaborateurs identifient les besoins et les applications potentielles de l’IA.

Vers une expertise augmentée

Au-delà des utilisations élémentaires mentionnées précédemment, la tendance actuelle vise à permettre aux systèmes d’IA d’accomplir davantage de tâches spécialisées en exploitant les données internes des entreprises, sans risque de fuites d’informations. L’objectif est de transformer l’IA générative, aujourd’hui collaborateur utile mais généraliste, en un assistant expert dans le domaine d’activité spécifique d’une entreprise ou d’un métier.

Dans cette perspective, l’IA ne constitue pas simplement un enjeu technique, mais représente une transformation profonde nécessitant une réflexion collective sur son intégration éthique dans le monde du travail. Cette réflexion doit impliquer tous les acteurs concernés, des concepteurs aux utilisateurs, pour définir ensemble un cadre d’utilisation responsable qui maximise les bénéfices tout en minimisant les risques potentiels.

La nécessité d’un dialogue inclusif

Pour établir une éthique collective de l’utilisation de l’IA, il est indispensable d’instaurer un dialogue ouvert entre les différentes parties prenantes: experts techniques, dirigeants d’entreprises, représentants des salariés, et organismes de régulation. Ce dialogue permettra de développer une compréhension commune des enjeux et d’élaborer des principes directeurs adaptés aux différents contextes professionnels.

La gouvernance partagée de l’IA dans le monde du travail constitue ainsi un défi majeur de notre époque, dont la réussite dépendra de notre capacité collective à concilier innovation technologique et valeurs humaines fondamentales.